Travail sur l’Acte III :

Un soir, une longue scène (20 pages), deux sœurs. Violaine, devenue lépreuse et partie de chez elle, la ferme de Combernon, depuis huit ans, et Mara, qui s’est mariée et a eu un enfant. L’une vit recluse et loin de tout, l’autre lui rend visite le soir de Noël, portant son jeune enfant mort au creux de ses bras.

Comment regarder cette sœur aînée, perdue de vue depuis toutes ces années et retrouvée seule et rongée par la maladie ?

Que répondre à cette jeune sœur qui implore afin que son enfant ressuscite ? Que faire ?

Mara dit à Violaine : « Il faut être une sainte quand une misérable te supplie. »

Et Violaine qui finit par éclater :

« Pourquoi ne me laisses-tu pas en paix ? pourquoi viens-tu ainsi me tourmenter dans ma tombe ? / Est-ce que je vaux quelque chose ? est-ce que je dispose de Dieu ? est-ce que je suis comme Dieu ? / C’est Dieu même que tu me demandes de juger. »

Cet éclat semblait comme sorti d’outre-tombe. Ni le visage ni la voix de Judith n’étaient reconnaissables.

La scène arrivait à un endroit indescriptible de sensibilité, comme si une corde (guinde, pardon !) avait été tendue et que les deux comédiennes devenues funambules devaient se croiser sur ce fil. Mara lisait le Sermon de Saint Léon Pape : « Soyons joyeux » et c’est alors qu’un rire, comme né des larmes, lui échappe.

Une fois la scène terminée, Marine avait encore ce rire mêlé de larmes qui semblait ne pas vouloir la lâcher. C’est peut-être cela aussi, Claudel : une écriture qui vient nous saisir là où nous ne serions jamais allés en nous-mêmes, et qui, en nous traversant, nous submerge dans une vague. Mais c’est une submersion d’abord au ralenti. Tu sens l’eau affleurer sur tes pieds, puis jusqu’aux genoux, tu fais alors trempette, encore innocemment et croyant à une douce brise à venir. Mais non. Ce qui vient, c’est d’un coup, une montée des eaux jusqu’au cou, en une seconde, et alors tu sais que la noyade est proche. Que le risque est bien réel.

Il y a deux sortes de gens.
Il y a ceux qui vivent, jouent et meurent.
Et il y a ceux qui ne font jamais rien d'autre que se tenir en équilibre sur l'arête de la vie.

Il y a les acteurs.
Et il y a les funambules.

Maxence Fermine, Neige, p.94, Points/Seuil n°P804

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