Parmi les nombreuses et magnifiques compositions de notre cher Camille Rocailleux, il y a le Salve Regina qui ponctue la fin de l’acte I.

Anne Vercors, le chef de famille, le pater, vient de partir en pèlerinage à Jérusalem. Il laisse sa famille derrière lui, il abandonne les siens car il a entendu l’appel « du bruit des eaux » et du « lieu grand. » Il quitte le plateau avec son sac et restent alors Mara, Jacques, la Mère et Violaine. Tous se regardent puis disparaissent, un par un, en coulisses. Violaine se retrouve seule, serrant encore, tout contre elle, les bottes de son père. Dans un élan, elle les jette dans la direction du père qui les a quittés, puis se retourne vers le public, dans un grand sourire. Elle est dans une longue robe bleu-roi sublime – que l’on doit à notre costumier Jean-Daniel Vuillermoz – et commence à chanter a capella ce chant Salve Regina. Puis les violoncelles la rejoignent, l’accompagnent, la portent. Les voix de Mara et de Pierre de Craon s’y mêlent aussi. Et alors, nous n’entendons plus les paroles latines, ces mots ne sont plus empreints de références liturgiques ; ce qui nous parvient, c’est un magnifique appel à la vie. Si elle salue la Vierge Marie, Violaine appelle surtout de ses vœux, de son chant et de ses grands yeux bleus, la vie. Quelle qu’elle soit. Elle dit au revoir à ce père qui l’abandonne, en célébrant l’instant présent – celui du sourire et des notes résonnant dans l’espace déserté – et en savourant déjà toutes les heures qui l’attendent. Oui, ce père m’a abandonné, oui, je reste seule mais...

« L’âme humaine, dit Claudel, est une chose capable de prendre feu.

Elle n’est même faite que pour cela.

Et ce feu porte un nom, il s’appelle la joie. (…)

La devise de cette joie ?

N’empêche pas la musique.

N’empêche, sous aucun prétexte, la musique de ta vie de s’accomplir. »

Emmanuel Godo, Paul Claudel La vie au risque de la joie, Ed. du Cerf, 2005